Interview d'Henri-François Vellut par Nayoung Kim Millius, mai 2023
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Pourriez-vous nous raconter votre rencontre avec l’orgue ? Comment avez-vous décidé de poursuivre le chemin de musicien professionnel ?
J’ai commencé le piano à 4 ans, et je me souviens que je voulais toujours jouer de l’orgue. Je ne sais pas pourquoi, c’était comme mon instinct qui m’interpellait. J’ai connu la musique d’orgue par les disques que mes parents écoutaient. En parallèle de mes cours de piano et d'orgue, je remplaçais fréquemment mon professeur pour les messes. Ensuite j’ai suivi une formation pour devenir ingénieur, mais après mon diplôme ma passion pour la musique l’a emporté et je suis parti en Allemagne. Une année de séjour prévue au départ est devenue 3 ans inoubliables ! Je me souviens notamment d’une masterclass à Bayreuth où j’ai rencontré Marinette Extermann, musicienne suisse, qui m’a présenté à Lionel Rogg avec qui j’ai suivi des cours dans la classe d’orgue au conservatoire de musique de Genève.
Quelle est la plus grande beauté de l’instrument pour vous ?
C’est certainement la diversité de l’instrument lui-même, que ce soit visuellement, par ses sonorités ou par l’étendue immense de son répertoire ! Par ailleurs une même pièce peut sonner très différemment selon l’instrument, ce qui rend les possibilités d’interprétation quasi infinies.
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez en tant qu'organiste ?
De nombreux organistes sont actifs dans d’autres domaines d’activités en dehors du métier de musicien. Jongler avec ces activités pour trouver un bon équilibre n’est pas toujours facile car le temps est limité. Un autre défi est l’élaboration d’un programme de concert qui ait un sens et ne soit pas juste une juxtaposition d’œuvres : un fil rouge qui sous-tend tout le programme est un art qui nécessite du temps et de la recherche.
Parlez-nous un peu de votre programme pour le concert AOA.
L’orgue de l’Auditoire date des années 2013-2014 et son esthétique est baroque. Après avoir passé quelques heures sur cet instrument pour faire sa connaissance, j’ai eu l’idée de choisir des œuvres écrites dans les mêmes années, également d’esthétique baroque, donc des copies de style – des pastiches, si l’on préfère. Cela justifie donc le titre du concert : « 21ème siècle baroque », qui s’applique tant à l’instrument qu’aux œuvres jouées.
Je commencerai avec le Suisse Gaël Liardon, prématurément disparu il y a bientôt 5 ans. Grand admirateur des maîtres anciens comme Sweelinck, Pachelbel et Bach, il a écrit de nombreuses œuvres pour orgue, de la musique de chambre et des œuvres pour chœur et orgue. Je poursuivrai avec une partita du Genevois François Delor, musicien bien connu, ancien organiste de la cathédrale. Il s’agit d’une série de variations sur un choral bien connu, souvent chanté au culte ; une grande œuvre qui évoquera sans doute Bach et Böhm. Pour terminer, trois danses de la Néerlandaise Margaretha Christina de Jong qui reprennent des formes anciennes : Saltarelle, Sicilienne et Fandango.
Quelle serait, selon votre vision, la place de la musique d’orgue dont la grande partie de son répertoire se compose de la musique d’église, dans notre société actuelle ? Et son rôle futur ?
La musique d'orgue, loin d'être confinée aux murs sacrés de nos églises, mérite d'être célébrée en tout lieu propice à sa splendeur. Bien que l'Europe compte une grande majorité d'orgues dans les lieux de culte, il existe un vaste répertoire d'œuvres profanes et libres de toute attache spirituelle. Hélas, ceux qui ne sont pas initiés à la magie de cet instrument ont tendance à y percevoir un chant funèbre, un son qui ne surgit que pour marquer les moments les plus tragiques ou effrayants de nos vies.
C'est là une image réductrice de l'orgue. En tant qu'organistes passionnés, nous avons le devoir de faire tomber les préjugés pour laisser briller toute la richesse de cet instrument. Car l'orgue peut être bien plus que mélancolique ou méditatif : il peut être joyeux, rythmé, voire même drôle ! Alors laissons résonner les notes de l'orgue dans nos églises et hors de leurs murs, pour faire vibrer tous les cœurs.
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Quelle est votre opinion sur le rôle des organistes et des musiciens pour les jeunes générations? Quels seraient, à votre avis, les impacts de vos activités musicales?
Nous pourrions présenter des ciné-concerts, comme par exemple la série “L’orgue fait son cinéma” https://www.orguedecinema.ch/2018/a/festival/2022-8eme/, ou des activités pour les enfants comme Orgelkids https://www.orgelkids.nl/en/ où l’on montre aux enfants le mécanisme et le fonctionnement de l’instrument. Disons qu'aujourd’hui, nous poursuivons nos efforts pour dévoiler le côté caché et mystérieux des orgues afin de les rendre plus accessibles au public. Nous parviendrons peut-être alors à faire tomber le préjugé qu’un concert d’orgue est ennuyeux et difficile, à faire découvrir et apprécier différents styles de musique, à susciter l’envie de l’écouter et de le jouer, en révélant tout le potentiel de séduction de cet instrument !
Un message particulier au public du Festival Souffle de Printemps ?
Faites connaître la musique d’orgue, faites connaître ce festival que vous appréciez, sans complexes ni retenue, racontez ce que vous vivez. Découvrez et faites découvrir de nouveaux aspects de cet instrument-roi. Partagez votre plaisir !
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