Interview d'Arthur Saunier par Nayoung Kim Millius, mai 2023
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Pourriez-vous nous raconter votre rencontre avec l’orgue? Comment avez-vous décidé de poursuivre le chemin de musicien professionnel?
Ma rencontre avec l’orgue fut relativement précoce, puisque ma première inscription au conservatoire de Caen dans la classe de Lynne Davis remonte à mes 8 ans. Étrangement, alors que je suis issu d’une famille catholique pratiquante, je n’ai aucun souvenir de cet instrument à l’église lors des messes. C’est l’écoute de la musique de J.S Bach à la maison sur CD qui me met le pied à l’étrier. C’est plus la musique que l’instrument qui m’a donné initialement envie de jouer de l’orgue. Déjà très tôt, je voulais devenir musicien professionnel. J’ai poursuivi mes études universitaires à Nice car j’y voyais comme un filet de sécurité au cas où tout ne fonctionne pas comme prévu, mais même alors je ne me souviens pas d’avoir pensé à une autre voie professionnelle pour moi. Je me voyais surtout comme un pianiste, et les aléas de la vie m’ont surtout fait organiste, ce qui me va très bien !
Quelle est la plus grande beauté de l’instrument pour vous?
Sa variété sonore. Les possibilités du système des registres sont infinies et donnent une matière première fantastique à l’organiste. J’aime aussi le fait que chaque instrument est différent. Et enfin on ne peut pas ne pas évoquer l’objet orgue en lui-même. Cela reste selon moi, une de nos plus belles machines.
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez en tant qu'organiste?
A mon avis, la plus grande difficulté repose dans l’énorme diversité de compétences que le métier d’organiste requiert. Il y a l’aspect brut dirons-nous - savoir jouer de cet instrument ce qui n’est déjà pas rien : savoir jouer avec les mains et les pieds, maîtriser la « machine » d’orgue, être à l’aise dans une musique qui utilise souvent du contrepoint etc. Vient ensuite l’aspect liturgique : être capable d’accompagner une assemblée, de transposer s’il le faut, d’improviser. Et enfin l’aspect concertiste : pouvoir donner une heure de concert et donc monter et présenter du répertoire en public. Tous ces paramètres demandent un travail conséquent et spécifique. Et si vous ajoutez à cela la diversité des instruments et des styles de musique, cela peut donner le tournis. Il y a aussi une difficulté logistique dans le fait de devoir jouer dans les églises et donc de composer avec les différents emplois du temps de ces lieux. Si, comme moi, vous avez un petit appartement et donc aucune possibilité pour entreposer un instrument électronique (n’ayons pas peur des gros mots) ou non, vous vous retrouvez parfois au chômage technique.
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Dites-nous un peu sur votre programme pour le concert AOA.
Le programme que j’ai proposé pour le festival, répond à une vieille envie. Cela fait quelque temps que je voulais jouer exclusivement des œuvres de la deuxième moitié du XVIIIe et notamment la musique de Mozart à l’orgue. En grossissant le trait, j’ai l’impression que nous n’osons jouer que peu tout ce qui se trouve entre ce triangle des Bermudes du répertoire que constitue la mort de J.S Bach et la naissance de Mendelssohn, domaine souvent réservé du clavecin et du piano. L’orgue est cependant bien présent et il suffit de lire la correspondance de Mozart pour s’en assurer. Chaque nouvelle étape de ses voyages passe par une visite des instruments. Le cadre de l’auditoire Calvin, une petite église et un instrument de plain-pied, me permettait de retrouver cette ambiance de salon, de musique de chambre, qui se prête assez bien à cette musique.
Quelle serait, selon votre vision, la place de la musique d’orgue dont la grande partie de son répertoire se compose de la musique d’église, dans notre société actuelle? Et son rôle dans le futur?
Je pense que le rôle de la musique d’église n’a pas à changer. Il reste un soutien à tout exercice spirituel et le fondement un art qui nous est familier. Il suffit d’aller une fois à un enterrement dans une église pour le comprendre. Et si l’Eglise, protestante ou catholique, ne vit pas ses meilleurs jours, je doute sincèrement de sa disparition dans un avenir proche ainsi que de toute recherche de spiritualité. La véritable question selon moi se trouve dans le choix de cette musique. C’est une question difficile, surtout posée à un musicien classique dont la principale occupation est de jouer des œuvres du passé, souvent sacralisées. Je pense que nous devons rester le plus éclectique possible car nous sommes, en tant qu’être humains modernes, traversés par des influences multiples et parfois contradictoires. L’orgue doit avoir une place de choix puisqu’il est le garant d’une tradition millénaire qui a su se mouvoir à travers le temps. Mais aux organistes la lourde tâche de laisser entrer d’autres types de répertoires, qu’ils soient sacrés ou profanes, anciens ou modernes.
Quelle est votre opinion sur le rôle des organistes et des musiciens pour les jeunes générations? Quels seraient, à votre avis, les impacts de vos activités musicales?
Dans la continuité de ma réponse précédente, nous avons le devoir pédagogique de présenter ce merveilleux répertoire au public. Je nous considère comme des historiens de la musique, et nous ne pouvons attendre des gens qu’ils soient capables d’apprécier un beau choral orné ou une fugue sans leur expliquer ce que c’est. Encore une fois, nous jouons majoritairement une musique du passé et elle ne va pas de soi pour tout le monde. A nous de la présenter comme il se doit avec rigueur mais surtout bienveillance envers le grand public. C’est pourquoi je multiplie des auditions commentées au temple de la Madeleine.
Un message particulier au public du Festival Souffle de Printemps ?
Je vous attends nombreux à mon concert mais aussi pour ceux de mes collègues dans la prochaine saison puisque l’Auditoire Calvin est un lieu idéal pour écouter de la belle musique mais aussi pour découvrir un peu plus cet instrument particulier qu’est l’orgue.